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Adolescentes voilées : du corps souillé au corps sacré
Meryem Sellami est docteure en sociologie, enseignante à la faculté des sciences humaines et sociales de Tunis, membre associée du laboratoire « Cultures et sociétés en Europe » CNRS/UDS.
Elle s’intéresse particulièrement aux représentations sociales du corps féminin dans les sociétés arabo-musulmanes et dans les sociétés européennes.
Elle est venue présenter son livre à l’ITS en novembre 2018. Ce livre, publié en 2011, est le fruit d’une enquête menée auprès de jeunes tunisiennes entre 2007 et 2011, dans le cadre d’une thèse de doctorat.
Elle présente le voile comme un « fait social total » dans le sens où il mobilise des questions juridiques, religieuses, politiques, sociales, psychologiques…
Le voile islamique dérange et soulève la question de l’hypervisibilité dans les sociétés laïcisées.
Il oppose les partisans de la laïcité et d’un féminisme universel et ceux pour qui c’est un marqueur religieux.
Meryem Sellami montre combien les raisons de se voiler sont multiples et parfois dépendantes de l’histoire de vie. Il peut s’agir d’une décision provisoire, d’éviter le harcèlement des garçons dans son quartier, de pouvoir parcourir l’espace public en se sentant protégée, il peut aussi s’agir d’une conviction religieuse, d’un repli sur soi.
Le voile est aussi un voile politique, il est lié à l’histoire de la colonisation, il était une forme de résistance, une manière de s’opposer à la représentation du corps des femmes du colonisateur.
Mais il est aussi le signe d’une domination masculine dans laquelle le corps des femmes ne leur appartient pas, les interdits sociaux ou religieux à son propos constituent les droits que s’adjugent les hommes sur les corps des femmes. Le contrôle du corps des femmes est un enjeu fort dans les sociétés patriarcales, le voilement est alors perçu comme un étendard de la pureté féminine.
Cependant, Meryem Sellami nous rappelle également l’ambivalence de ces adolescentes dans une recherche tâtonnante de soi, qui usent de leur libre arbitre et donnent à leur choix des significations propres. Il est alors une preuve de leur féminité, leur permet d’échapper au pouvoir de l’autre et les aide à affronter l’altérité.
Cette recherche ne donne aucune réponse, ne lève pas l’ambiguïté et la complexité de ce sujet et nous interroge sur une pratique, en particulier dans des pays où la culture dominante n’impose pas aux femmes de cacher leur corps.
Se cacher pour se sentir libre, n’est-ce pas une forme d’abdication ? Le voile et l’émancipation des femmes sont-ils compatibles ? Ni le livre ni le débat n’ont permis de répondre à cette question pourtant essentielle.
Adolescentes voilées : du corps souillé au corps sacré
Meryem Sellami chez Presses de l’Université Laval : 2013.
Francine Bégards
documentaliste ITS Pierre Bourdieu
publié dans mai 2019