S@nté Jeunes, Newsletter pour les acteurs de la santé, de la prévention, de l'éducation et du social de l'agglomération paloise

Usages numériques : accompagner les personnes

L’inquiétude concernant le rapport aux écrans – et au numérique au sens large – n’est pas nouvelle : elle est souvent la demande initiale de ce que l’on nomme l’entourage (toute personne proche, en général un parent, qui vient chercher du soutien, des solutions et de l’écoute pour aider un tiers). Il est intéressant de noter qu’à l’inverse, ce même sujet constitue rarement la « porte d’entrée » vers le soin en CSAPA (Centre de Soins, d’Accompagnement et de Prévention en Addictologie) pour des personnes qui viennent pour elles-mêmes. C’est au cours du suivi le plus souvent qu’on voit apparaître cet élément de la vie quotidienne, avec parfois son reflet pathologique.

Je vais donc vous faire part de quelques brèves vignettes cliniques, où l’accent sera mis sur la demande initiale puis sur la problématique (ou demande implicite) dégagée en lien avec le thème de cette newsletter (parmi tous les autres éléments familiaux ou intimes issus de la rencontre). Les mots ou expressions entre guillemets sont des citations.

À la Maison du Parent

Une mère d’un garçon de 12 ans qui n’en peut plus de l’état dans lequel ce dernier se met quand il perd à la Playstation ou quand il faut l’arrêter pour aller manger par exemple… Comment tente t’elle d’y mettre un terme ? Fréquemment en éteignant la box. Il casse les manettes (et même parfois le placo !) quand il perd et insulte sa mère quand elle veut le stopper, surpris et frustré en même temps.

Ce qui aidera assez vite cette dame est de lui demander si son fils est responsabilisé par rapport aux conséquences de ses crises. Jusqu’à présent, convaincue qu’il était malade au sens « accro », elle se focalisait sur l’objet qu’il n’arrive pas à lâcher, la demande implicite a donc été « puis-je demander réparation à un addict ? ». De se mettre à lui demander de payer pour ses dégâts lui a permis de ré-exister en tant qu’autorité, et non pas uniquement en tant que spectatrice anxieuse (ou soudainement exaspérée) qui va éteindre (donc couper la jouissance) sans prévenir .

Une autre mère inquiète de l’isolement induit par les heures passées par sa fille devant facebook : est-ce un isolement ? N’est-elle pas en lien réel avec des personnes ? Les relations qu’elle puise dans ce site doivent-elles être qualifiées par cette personne « d’illusoires », de « fausses » voire de « conneries » si elle prend moins de gants ?

Les écrans dans la vie des familles

Un couple inquiet pour leur aîné qui reste tout le temps devant son écran mais réalise qu’ils sont quand même contents car il n’est plus dehors « à faire des conneries comme avant », à rouler trop vite avec sa voiture…dès lors, quelle sera leur position ? Auront ils la force de mettre des limites à cette surconsommation d’écran en sachant que la seule alternative qu’il voit lui, est d’aller faire des « vrais bêtises dehors » ? Ils vont le tenter par le biais de propositions de partager plus, de regarder ensemble des émissions. Pour la petite histoire, cette même famille a réalisé qu’ils regardaient souvent la même émission, mais sur 3 écrans différents, et qu’ils se retrouvaient au moment des pubs, dans le couloir pour aller aux toilettes !

Une mère d’une jeune fille souffrant d’anorexie, qui comprend que certains sites et forum spécialisés  alimentent (sans mauvais jeu de mot) cette fascination pour l’hyper contrôle corporel et donc accède à un autre aspect qui apparait parfois dans cette maladie, celui de désir exhibitionniste (tout comme le voyeurisme, cette notion d’exhibitionniste est à prendre en compte dans certaines problématiques liées aux écrans).

Objet de conflits

Un couple séparé qui décide de réfléchir à un positionnement commun face aux demandes permanentes de leur fils : de nouveaux jeux, un nouveau téléphone, etc. Un autre sujet apparaît heureusement, un non-dit qui finit par être parlé entre eux deux : le téléphone de cet ado (qui est payé dans ce cas par le père) est souvent utilisé chez la mère. Cette dernière, avant qu’ils n’en parlent, n’osait pas prendre la responsabilité de faire appliquer son règlement sur un objet qui fait aussi lien avec l’autre parent. L’ado répondait systématiquement : « c’est Papa qui paye, il n’aimerait pas que tu m’en prives, tu ne m’empêcheras pas de lui parler ». Une fois les choses posées, le père la rassure, il lui fait confiance pour cet objet, dont elle peut avoir la maîtrise quand il est chez elle. L’objet perd alors une bonne partie de sa valeur symbolique conflictuelle car les deux parents savent et échangent, donc auront bien plus confiance dans leur autorité. Il est rappelé à cet enfant qu’il existe un téléphone fixe s’il veut vraiment parler à son père.

Un autre père qui « punit son fils de tablette » et qui vient se plaindre d’une addiction de ce dernier. L’écran, s’il est logiquement pris comme instrument de sanction, car son manque va être pénible, renforce de ce fait son assise et son importance aux yeux de l’enfant : la limite renforce le désir de la dépasser et augmente parfois inconsciemment l’attrait de cet objet / passe-temps.

À Béarn Addictions et au Point Écoute Jeunes 

Une jeune fille très timide, venant pour une « phobie sociale » qui se cache derrière ses cheveux, elle se dit une  « no life ». Elle semble très triste, voire déprimée, ne pense qu’à jouer car c’est le seul moment durant lequel elle n’a pas besoin de penser, sans pour autant qu’elle ne trouve du plaisir ou de l’épanouissement dans l’activité elle-même. Je ne la verrai qu’une seule fois, elle ne donnera pas suite.

Une jeune femme adulte venue, au départ pour une addiction aux médicaments myorelaxants parler de ce sport intensif qu’elle fait et qui l’amène à vouloir faire passer la douleur physique avec de tels médicaments. Cela l’amène à dire ce qu’elle cherche à fuir quand elle court jusqu’à s’en faire souffrir.

Elle fuit (quand elle commence le suivi) la douleur de ne plus avoir de nouvelle d’un jeune homme dont elle est très amoureuse. Pour son malheur, avant de l’oublier et de ne plus donner signe de vie, il l’a acceptée comme amie sur Facebook. Je dis pour son malheur car ce petit accès à la vie de ce jeune homme l’amène à regarder en boucle sa page, ses publications, les fois où il ne passe pas loin de chez elle…Bref elle développe une forme très nuisible – pour elle-même – de voyeurisme dans lequel elle nourrit son désespoir, celui de voir que son amant a une vie très importante sur FB, beaucoup d’amis, voire d’amies… Suivent donc logiquement des moments où elle veut fuir tout cela, d’où les joggings jusqu’à s’en faire mal. Elle dira un jour que sa seule chance d’évoluer est que ce soit lui qui la supprime de sa liste d’amis, car elle ne pourra pas le faire elle-même. Elle finira par lui demander de le faire et sera enfin débarrassée de cette possibilité devenue nocive.

Donne-moi des limites

Un collégien, venu parler de sa timidité, qui se rend compte des heures et des heures qu’il passe devant les jeux mais qui dit ne pas pouvoir gérer seul. Dit avoir besoin d’être cadré tout en précisant qu’il n’aime pas quand on le stoppe…Il sera reçu avec sa mère, trouvera la maturité de demander de sa propre initiative son besoin de limite même s’il doit grogner quand il les trouve. Il aura fallu ces quelques séances à la mère pour comprendre que l’ambivalence existe aussi à l’âge adolescent.

Un jeune homme, déscolarisé « ex Nolife », lui aussi venu demander de l’aide par rapport à une timidité importante, se rend compte, après être sorti de WOW (World Of Warcraft), que la vie relationnelle en dehors de ce jeu est bien difficile. Dans le monde virtuel, il contrôlait absolument tout ce que les autres voyaient de lui, et c’est l’inverse IRL (in real life, selon l’expression utilisée à l’époque pour désigner tout ce qui se passe en dehors des écrans). Son rapport aux écrans, bien que moindre, restera tout de même questionnant : il se tourne vers des vidéos Youtube, toujours les mêmes, celles qui parlent de toutes les manipulations mentales des médias…Il dira que cela lui rappelle tout le monde adulte (profs et parents en tête) qui déçoit et ment. J’ai depuis interprété ce goût pour ce genre de vidéos comme une de lecture paranoïaque du monde : à haute dose, elles peuvent induire une forme de toute puissance (révéler à une élite, les avertis, ceux qui regardent, tout ce qui est caché par les grands médias) associée à une méfiance généralisée pour tout ce qui est « grand public ».

Voici pour terminer le cas de cette lycéenne, venue parler de ses scarifications. Elle dit lors d’une séance qu’elle vérifie régulièrement le téléphone de son petit copain. Elle y cherche et y trouve tout le mal que l’« ex » de ce dernier dit sur elle. Finalement elle réalise qu’elle lui donne un pouvoir immense, le pouvoir de l’énerver, à partir d’un simple SMS : l’ex en question a compris depuis longtemps que ses messages sont regardés et redouble de vigueur pour les envoyer, car la lycéenne s’interdit de révéler qu’elle espionne, ce qui la piège, elle subit ce qu’elle vient chercher !

A travers ces quelques exemples d’imbrication du numérique dans la vie quotidienne, on s’aperçoit qu’il est intéressant d’aider une personne à examiner l’usage qui est fait de tels moyens technologiques. Le numérique nous permet de jouer, de comprendre le monde, de le découvrir, de se divertir mais aussi et surtout – dans les situations choisies – de parler, d’être en lien avec l’autre, et que ce lien est plus qu’une froide communication, il est chargé d’affects comme les liens non virtuels.

Cette aide nous semble plus utile que la simple confirmation ou non d’une addiction.

Pierre ALVAREZ
Psychologue au CEID Béarn Addictions
Point Ecoute Jeunes et Maison du Parent à Pau

S@nté Jeunes est proposé par : Conseil Départemental, Communauté d’Agglomération Pau Béarn Pyrénées, Equipe Mobile Jeunes en Souffrance Psychique et Centre de documentation du Centre Hospitalier des Pyrénées, Instance Régionale d’Education et de Promotion de la Santé Antenne 64, Institut du Travail Social Pierre Bourdieu, Maison des Adolescents Pau-Béarn, Planning Familial 64, Point Ecoute Jeunes, Association Addictions France. Avec le soutien financier de l’Agence Régionale de Santé Nouvelle Aquitaine.

Coordonnées / contact : CEID Point Ecoute Jeunes 25, rue Louis Barthou, 64000 Pau

Conseil Départemental
Communauté d’Agglomération Pau Béarn Pyrénées
Centre Hospitalier de Pau
Equipe Mobile Jeunes en Souffrance Psychique et Centre de documentation du Centre Hospitalier des Pyrénées
Instance Régionale d’Education et de Promotion de la Santé Antenne 64
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Planning Familial 64
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